IA et SEO : interview croisée de nos trois experts
Selon une étude du cabinet Gartner, l’audience des moteurs de recherche traditionnels pourrait chuter de 25 % d’ici 2026.

En effet, les réponses générées par IA n’obligent plus l’internaute à cliquer sur l’un des sites sélectionnés par l’algorithme du moteur de recherche. En outre, de plus en plus d’internautes effectuent leurs recherches directement via des agents conversationnels comme ChatGPT, ou sur les réseaux sociaux, court-circuitant totalement Google et consorts. Ces prévisions sont-elles crédibles ? Quelles conséquences sur les stratégies de référencement naturel ?

Nous avons interrogé trois experts, adhérents Digital Bay :
Gaëlle BOUTAUD, co-fondatrice & Directrice Générale de l’agence Sales Odyssey,
Philippe CAILLAUD, consultant SEO chez HT-Trafic,
Sébastien DUPUCH, consultant SEO et web marketing chez DYH.
Etes-vous d’accord pour dire que l’arrivée des IA génératives bouleverse le modèle des moteurs de recherche traditionnels, notamment Google, et entraîne d’ores-et-déjà une baisse de fréquentation des sites web ?
Sébastien DUPUCH : Absolument. L’arrivée des IA génératives marque un changement dans l’écosystème des moteurs de recherche. Google, avec des initiatives comme SGE (Search Generative Experience), intègre déjà l’IA pour répondre directement aux requêtes des utilisateurs sans qu’ils aient à cliquer sur un site. L’utilisation de l’IA, dans cette configuration, transforme le parcours utilisateur et réduit potentiellement le trafic naturel vers les sites web.
Il faut aussi souligner qu’un nombre important de personnes utilise aujourd’hui l’IA (par exemple ChatGPT) comme un moteur de recherche qui fournit des réponses instantanées. L’IA permet de raccourcir énormément le temps de recherche mais pose des questions (risques d’« hallucinations », droits d’auteurs…)
Ceci dit, les sites très spécialisés, les sites transactionnels et les sites à portée locale ne devraient pas (trop) subir l’intégration des IA dans le modèle des moteurs de recherche.
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Gaëlle BOUTAUD : Je nuancerais fortement cette affirmation. À ce jour, il n’existe aucune preuve tangible d’un bouleversement majeur du modèle des moteurs de recherche traditionnels ou d’une baisse généralisée de trafic due aux IA génératives. Il est vrai que certains sites proposant du contenu basique et factuel peuvent voir leur trafic impacté. Mais la majorité des recherches sur Google ont une intention bien plus complexe qu’une simple demande d’information.
La vraie question n’est donc pas de savoir si l’IA va remplacer les moteurs de recherche traditionnels, mais plutôt comment adapter sa présence en ligne pour rester pertinent. Un site web avec un contenu expert de qualité continuera d’attirer du trafic qualifié car l’IA ne fait qu’agréger et reformuler l’information existante. Sans contenus originaux et experts, les IA n’auraient rien à exploiter. C’est pourquoi il est plus crucial que jamais de produire du contenu de qualité qui influencera les réponses des IA et les résultats de recherche.
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Philippe CAILLAUD : Non, cette affirmation mérite d’être nuancée. Tout d’abord, il faut noter que l’IA est présente depuis longtemps dans les moteurs de recherche, bien qu’elle soit invisible aux yeux des utilisateurs. Ensuite prenons l’exemple de Copilot, intégré depuis novembre 2023 dans Bing : malgré cette innovation, Bing n’a pas significativement augmenté ses parts de marché (moins de 4% en France). De plus, les résultats de ChatGPT Search proviennent de Bing.
En ce qui concerne Google, son IA Gemini n’est pas encore intégrée au moteur de recherche en Europe, probablement pour des raisons juridiques. Dans la plupart des autres pays, l’IA générative est déjà présente sous forme d’une fonctionnalité appelée « overview ». Les statistiques sont difficiles à obtenir, cependant il semblerait pour l’instant que le nombre d’internautes utilisant cette fonctionnalité reste très faible. Par conséquent, affirmer que nous observons une baisse sensible de la fréquentation des sites web à cause de l’IA générative est prématuré.
Quelles évolutions peut-on envisager en termes de SEO dans les mois et années à venir, à votre avis ? ’ores-et-déjà une baisse de fréquentation des sites web ?
Gaëlle BOUTAUD : Selon notre expertise chez Sales Odyssey, le SEO évolue vers ce qu’on appelle l’Entity-Based SEO. Cette approche va au-delà des simples mots-clés pour se concentrer sur la compréhension des entités (personnes, lieux, concepts) et leurs relations.
L’accent sera mis sur la qualité et la profondeur du contenu plutôt que sur la simple optimisation lexicale. Google cherche désormais à comprendre le contexte global et les relations entre les concepts, pas seulement les mots-clés isolés.
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Sébastien DUPUCH : Les moteurs de recherche vont de plus en plus essayer de comprendre le vrai besoin des utilisateurs, c’est-à-dire pas seulement les mots qu’ils tapent, mais leur réelle intention de recherche. Il faudra donc créer du contenu clair, utile et vraiment différent de ce que l’IA peut générer toute seule et parfaitement construit pour répondre à l’intention de recherche de l’utilisateur.
Les aspects techniques des sites web (comme la rapidité du site ou l’organisation des pages) resteront importants, sans oublier que la version mobile prime en SEO : lisibilité, contraste, vitesse, navigation.
Pour accrocher les moteurs, les IA et bien sûr les utilisateurs, il faudra utiliser des outils pour structurer les données comme les « rich snippets » qui peuvent afficher des étoiles (avis), des prix ou des avis directement dans Google. C’est déjà un élément qui rentre en compte pour le classement des sites par les moteurs.
Il faudra aussi penser à adapter son contenu aux nouvelles façons de rechercher, comme les commandes vocales (Siri, Google Assistant, Alexa…) ou les conversations avec des IA.
En résumé, le SEO devra être plus intelligent, plus humain, et il faudra proposer du contenu de qualité, bien structuré, et adapté aux nouveaux modes de recherche et technologies.
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Philippe CAILLAUD : Première évolution prévisible : l’intégration potentielle de l’IA générative dans Google et chez ses concurrents. Ceci dit, selon moi, le principal risque concerne l’intégration native des IA génératives de recherche dans nos outils quotidiens tels que Windows et Android.
On devrait aussi voir l’évolution de Google Discover qui propose des contenus pertinents aux internautes sans requête préalable, particulièrement sur Android. Enfin, de nouveaux modes de recherche vont émerger, comme Google Lens.
Selon vous, quelles stratégies les entreprises doivent-elles adopter pour maintenir leur visibilité en ligne et capter du trafic qualifié ?
Gaëlle BOUTAUD : Je soulignerais que le véritable enjeu de l’IA n’est pas tant la « mort du SEO » – un refrain qu’on entend depuis 25 ans – mais plutôt l’élévation du niveau plancher de la qualité des contenus. L’IA permet effectivement de démocratiser la création de contenu, mais cela signifie aussi que la différenciation se fera de plus en plus sur l’expertise réelle, la pertinence et la valeur ajoutée apportée aux utilisateurs.
Pour cela, il est nécessaire de travailler sur :
• Une approche plus holistique du contenu, qui doit être riche en informations pertinentes
• Une structuration autour d’entités interconnectées
• Une cohérence thématique globale du site
• La création de content clusters qui renforcent l’autorité sur des sujets spécifiques.
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Sébastien DUPUCH : Produire et proposer du contenu utile, unique et de qualité est essentiel.
La diversification des sources de trafic l’est tout autant (SEO, SEA, réseaux sociaux, presse digitale, email marketing…). Sans oublier la mesure des données, qui reste au centre de la stratégie digitale de toute entreprise, tous secteurs confondus : D’où viennent mes visiteurs ? Que consultent-ils ? Quel est leur parcours sur mon site ? Ces questionnements doivent être permanents car les habitudes évoluent rapidement. Il existe des outils permettant de répondre précisément à ces questions.
Je conseille aux entreprises de systématiser des campagnes web marketing de manière agile :
Il s’agit de chercher le canal le plus rentable à moment donné. Une fois trouvé, investir dans celui-ci tout en continuant à en chercher de nouveaux. La visibilité n’est jamais acquise, le trafic qualifié ciblé est volatil et évolutif.
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Philippe CAILLAUD : Tout d’abord, il est indispensable de poursuivre les efforts sur les fondamentaux en SEO. Je conseille également d’être de plus en plus attentif au comportement des utilisateurs, notamment avec Navboost*. La vitesse de chargement et l’adaptation mobile sont des critères qui demeurent important et le fait de travailler sur la marque et sa notoriété s’impose plus que jamais. Enfin, les entreprises doivent se concentrer sur un sujet spécifique et développer l’expertise associée.
*Navboost est l’algorithme qui utilise les clics des utilisateurs pour améliorer la pertinence des résultats de recherche sur Google. Il a en partie été dévoilé lors du procès antitrust de 2023 et des Google Leaks de mai 2024.
Merci à nos trois experts de s’être prêtés au jeu de cet interview !
Propos recueillis par Hélène BUISSON.